Alexandre Colin : « La végétalisation des villes doit être résiliente au climat de 2050 »
Natural Solutions poursuit sa série de portraits des membres de l’Alliance pour la Renaturation des Villes. Cette semaine, place à Alexandre Colin, l’expert du phénomène d’îlots de chaleur urbains et des espèces d’arbres les plus propices à planter dans le cadre des politiques de renaturation des villes. Une expertise précieuse qu’il apporte à ecoTeka, la plateforme coconstruite par les membres de l’Alliance pour accompagner villes, collectivités dans leurs processus de territoires résilients et durables.
Bio express : Chef de file d’ILO Paysages, Alexandre Colin est paysagiste concepteur, expert dans l’adaptation des territoires au changement climatique, en particulier sur la question des îlots de chaleurs urbains (ICU). Pour répondre à cet enjeu du réchauffement des villes dans une vision écosystémique, il a cocréé, avec NEPSEN Transition, des outils pour identifier les espaces citadins les plus propices à l’apparition des ICU, cibler la perméabilité des sols et des toitures, et orienter les acteurs institutionnels vers les essences d’arbres les plus résilientes à ce jour au climat de 2050.
En intégrant l’Alliance pour la renaturation des villes, vous apportez une triple expertise dans la conception d’ecoTeka. Vous pouvez nous les présenter ?
Alexandre Colin : L’enjeu d’ecoTeka, c’est d’accompagner les villes et les collectivités à penser et concevoir leurs espaces pour les rendre viables demain. En 2022, j’ai créé ILO Paysages, en complément d’ Atelier Colin et Poli Paysages, fondé en 2013 et dédié à l’accompagnement paysagiste des particuliers, pour offrir des prestations de maîtrise d'oeuvre paysagère à destination des publics institutionnels, des aménageurs territoriaux et des bailleurs. Dans ce cadre, nous avons développé une expertise qui porte sur trois axes : la lutte contre les îlots de chaleur urbains, pour laquelle nous avons cocréé Score ICU en 2016 avec NEPSEN Transition, un outil qui permet aux villes d’évaluer leurs sites, places, rues… favorables à la création de ces ICU, ou au contraire, à pouvoir accueillir des Îlots de fraîcheur.
Nous avons complété cet outil en 2020 pour y intégrer la perméabilité des sols et des toitures, avec le Score ICU Perméabilité, puisque les revêtements actuels des sols et des bâtiments jouent un rôle important dans le réchauffement des villes. Et pour compléter cette approche de façon écosystémique, nous avons lancé un troisième outil, Arbres en Ville, pour que les territoires puissent s’orienter vers les essences actuelles d’arbres à planter les plus adaptées au changement du climat. Ce sont ces trois expertises que j’apporte via ILO Paysages à l’Alliance pour la renaturation des villes.
On connait l’importance du rôle des arbres dans les processus de renaturation des villes. A contre-courant du discours ambiant, vous affirmez que le « planter local » n’est pas forcément la seule voie à suivre…
A.C. : Concevoir la ville de demain, c’est opter pour des choix de végétalisation qui doivent être résilients au climat en 2050. On se rend compte que le réchauffement climatique est bien plus rapide que prévu. Et que 2050 arrivera très rapidement, même si cela paraît loin. Pour mieux se faire une idée, il suffit de penser que nous sommes actuellement espacés d’un nombre d’années égal de 2050 que de la coupe du monde de 1998 ! Penser que les essences locales que l’on plante aujourd’hui, pour verdir les villes et créer des îlots de fraîcheur, vont avoir le temps de s’adapter au climat de 2050 est faux. Beaucoup de ces essences vont potentiellement mourir.
En vérité, personne ne sait vraiment lesquelles de ces essences survivront ou disparaîtront. Les chercheurs qui étudient la question ne sont pas d’accord entre eux. D’un côté, ceux de l’INRAE recommandent des essences locales qui se seront déjà adaptées au climat, en ayant été produites plus au sud en pépinières, comme en Italie ou en Espagne. De l’autre, ceux de l’ONF pensent qu’il est préférable d’aller chercher des espèces ailleurs, notamment en Amérique du Sud, qui alterne des périodes de froid, et de chaud et sec, comme chez nous.
Le bémol que je vois dans un cas comme dans l’autre, c’est que ces recherches portent sur des espèces forestières et non urbaines, ce qui est très différent. C’est pourquoi il est capital que les villes misent sur la diversité des cultures, et non sur les monocultures, comme ce fût la règle pendant longtemps, pour espérer qu’une majorité des espèces plantées ait des chances de survie face au réchauffement climatique.
C’est ce que nous essayons nous aussi d’étudier avec NEPSEN Transition au travers de l’outil Arbres en Ville, pour cibler, en fonction de différents indicateurs, les essences d’arbres les plus à même aujourd’hui de s’adapter et de répondre aux enjeux d’ICU de demain : celles qui rejettent du carbone et contribuent à la dépollution atmosphérique, celles qui génèrent le plus de fraîcheur, celles qui sont le plus propice à la biodiversité ou encore les espèces les moins allergisantes. Ne me demandez pas de vous sortir un TOP3 de ces essences miracles, aujourd’hui, on ne les connaît pas ! (Rires !)
Quel est votre lien avec Natural Solutions ?
A.C. : On se complète très bien. Quand Natural Solutions est expert dans le volet technique, ILO Paysages l’est dans l’expérience terrain. Et nous partageons le même constat : la majorité des villes et des collectivités ne connaissent pas leur patrimoine arboré et disposent de peu d’outils pour avancer de façon concrète sur cette question nécessaire de la renaturation des villes. Nous avons tout deux, comme avec les autres membres de l’Alliance, le souhait de les amener vers une réflexion globale sur ce sujet, pour leur permettre de mieux connaître, de mieux gérer et de mieux planifier, leurs politiques de renaturation. Soit, les conditions indispensables pour que les opérations de végétalisation des villes puisent être durables.