Frédéric Ségur : « L’arbre est le levier de l’adaptation des villes au réchauffement climatique »
Qui sont les membres de l’Alliance pour la Renaturation des Villes ? Nous vous les présentons au travers d’une série d’entretiens.
Nous débutons par Frédéric Ségur, chef de file de « Arbre, Ville & Paysage », entreprise spécialisée dans l’ingénierie, le conseil et la formation dans les stratégies et techniques de renaturation des villes.
Bio express : Frédéric Ségur est ingénieur et docteur en Urbanisme et Aménagement du Territoire. Spécialisé dans le concept de « foresterie urbaine », il intègre la Métropole de Lyon au début des années 90’, où il créé le service Arbres et Paysage. Sa mission durant 30 ans : développer la place de l’arbre et du végétal dans la stratégie d’aménagement du Grand Lyon.
Vous êtes spécialiste dans la renaturation des villes. Une question qui peut paraître naïve : en quoi est-ce si important de ramener la nature dans nos villes ?
Frédéric Ségur : En réalité, les choses n’ont pas beaucoup changé depuis le XIXe siècle. A cette époque, les villes étaient pensées avec beaucoup de plantations. Il suffit de regarder Paris, où l’on a vu se développer les parcs, les squares, les jardins… Beaucoup pensaient que cette large présence végétale répondait à une volonté esthétique, d’embellissement. Mais elle était déjà pensée pour répondre à trois points essentiels : la santé et le bien-être des habitants, la qualité de l’air, et l’apport d’espaces ombragés et rafraîchissants.
Au XXème siècle, on a perdu de vue ces critères au profit d’une ville utilitaire et fonctionnelle où la nature n’a plus eu sa place. On a dressé une séparation ville-nature arbitraire. Aujourd’hui, on se rend compte que la ville comporte beaucoup d’avantages, mais qu’elle est aussi responsable de nombreux maux de la santé de ses habitants, des maux accentués par le dérèglement climatique : la mauvaise qualité de l’air et les maladies respiratoires qu’elle engendre, les canicules et le phénomène d’îlots de chaleur urbain qui fait chaque année de nombreux morts… Avec le réchauffement climatique, on redécouvre que beaucoup de défauts environnementaux urbains peuvent être corrigés par la végétation, la seule à pouvoir garder l’habitabilité de la ville.
La revégétalisation des espaces urbains manque souvent d’une vision systémique. C’est ce que vous souhaitez apporter aux villes et collectivités avec l’Alliance pour la Renaturation des Villes et la plateforme ecoTeka…
F.S. : L’enjeu des villes et des territoires face au réchauffement climatique, c’est de développer la place de la végétation et de l’arbre en ville. Mais aussi et surtout de protéger l’existant. Les plantations d’aujourd’hui, elles serviront les générations de demain. Nous, nous avons besoin de solutions dès maintenant. Or, on ne protège bien que ce que l’on connaît bien. Et force est de constater que les villes connaissent souvent mal leur capital arboré.
La plateforme ecoTeka, que nous avons coconstruite avec les membres de l’Alliance pour la Renaturation des Villes, et développée par Natural Solutions, permet aux villes et collectivités de travailler sur cette connaissance de leur capital arboré. De développer la place de l’arbre en ville, comme de gérer le patrimoine existant. ecoTeka est une technologie d’aide précieuse aux gestionnaires des collectivités, des hôpitaux, des universités, des résidences et propriétés privés… Aujourd’hui, 70 à 80% du capital arboré d’une ville appartient à des propriétaires privés. Le rôle des collectivités, ici, c’est de jouer le rôle de chef d’orchestre en développant des politiques spécifiques d’accompagnement, pour mieux soutenir les politiques de protection et de développement.
Et effectivement, toute stratégie territoriale d’adaptation au réchauffement climatique doit être systémique, prendre en compte plusieurs domaines : les sols, la gestion de l’eau, et l’adaptation de la planète végétale elle-même au climat. On sait qu’un réchauffement de l’ordre de +1°C entraîne un déplacement des espèces de 150 à 250 km. Que certaines de ces espèces vont être amenées à disparaître. C’est d’autant plus vrai en ville où les températures sont amplifiées. Il est donc important d’aller plus loin dans la recherche des espèces végétales et des essences d’arbres pour connaître celles qui nous serviront demain.
La force de l’Alliance pour la Renaturation des Villes, c’est de compter des profils experts autour de ces enjeux que sont les sols, l’eau et le végétal. Une réponse apportée aux besoins des différents services “espaces verts” des territoires ?
F.S. : Les processus de renaturation des territoires et des milieux urbains demande un engagement territorial dans le long terme et il est d’une grande complexité pour les services des espaces verts des villes et des collectivités. C’est difficile pour eux de réunir toutes les expertises et de les faire travailler ensemble. Le défi climatique demande de réinterroger les pratiques professionnelles. De dézoomer les approches actuelles par métiers pour aller vers une approche globale, interdisciplinaire.
C’est ce que nous faisons avec l’Alliance pour la Renaturation des Villes. Nous avons chois de nous unir pour construire de nouveaux modèles ensemble, chacun apportant son expertise au profit d’un projet global : la résilience des territoires, dont l’arbre constitue le levier d’adaptation au réchauffement du climat. L’arbre est sans nul doute la figure de proue des stratégies de réintroduction de la nature en ville et de la lutte contre l'érosion de la biodiversité.