Peut-on entraîner une IA pour mieux reconnaître les espèces exotiques envahissantes ?

L’érosion de la biodiversité : un enjeu majeur

La biodiversité est en déclin rapide sous l’effet de multiples pressions : destruction des habitats, pollution, changement climatique, surexploitation des ressources et introduction d’espèces exotiques envahissantes (EEE). Ces dernières constituent une menace particulièrement préoccupante, bouleversant les écosystèmes et mettant en péril des espèces locales. Identifier et suivre ces espèces est un défi complexe qui pourrait être relevé grâce à l’intelligence artificielle (IA). Mais comment peut-on entraîner une IA pour reconnaître les EEE et améliorer leur gestion ?

Définition et typologies des espèces exotiques envahissantes

Les espèces exotiques envahissantes (EEE) sont des organismes introduits, volontairement ou involontairement, en dehors de leur aire de répartition naturelle et qui, par leur prolifération, causent des dommages écologiques, économiques ou sanitaires.

Typologies des EEE

  1. Espèces animales envahissantes : Elles comprennent des insectes, poissons, amphibiens, mammifères et oiseaux qui perturbent les écosystèmes locaux.

    • Exemple : Le Frelon asiatique (Vespa velutina) qui menace les populations d’abeilles et impacte la pollinisation.

  2. Espèces végétales envahissantes : Plantes colonisant rapidement de nouveaux territoires, souvent au détriment des espèces locales.

    • Exemple : La Jussie rampante (Ludwigia peploides), une plante aquatique qui asphyxie les milieux humides.

  3. Espèces exotiques envahissantes microbiennes : Champignons, bactéries et virus qui perturbent les écosystèmes ou menacent la santé humaine et animale.

    • Exemple : Le champignon Batrachochytrium dendrobatidis responsable du déclin des populations d’amphibiens.

Exemple de tortues exotiques envahissantes

Certaines espèces de tortues exotiques envahissantes posent un problème écologique majeur en raison de leur capacité à s’adapter et à concurrencer les espèces locales.

  1. La Tortue de Floride (Trachemys scripta elegans) : Introduite dans plusieurs régions à travers le monde par le commerce des animaux de compagnie, cette tortue est très adaptable et entre en compétition avec les espèces locales, comme la Cistude d’Europe.

  2. La Tortue d’Hermann (Testudo hermanni) : Bien que souvent perçue comme une espèce locale en Europe, certaines sous-espèces introduites hors de leur aire naturelle peuvent perturber l’équilibre écologique.

Les défis de l’identification et du suivi des EEE

Les méthodes traditionnelles de détection des EEE reposent sur l’expertise des naturalistes et la collecte de données sur le terrain. Cependant, ces approches sont souvent chronophages, coûteuses et limitées par le manque de spécialistes disponibles. Une solution réside dans l’automatisation du processus d’identification grâce à des outils numériques, notamment l’IA.

L’intelligence artificielle, en particulier les algorithmes de vision par ordinateur et d’apprentissage profond, offre la possibilité de reconnaître rapidement des espèces en analysant des images et des données environnementales. Plusieurs approches sont envisageables :

  1. L’IA embarquée dans les applications mobiles : Les applications comme Pl@ntNet ou iNaturalist permettent aux citoyens de photographier une espèce et d’obtenir une identification instantanée. Ces bases de données, enrichies continuellement, améliorent la précision des modèles IA.

    • Exemple : L’application Pl@ntNet a permis d’identifier avec succès la Berce du Caucase, une plante invasive toxique pour l’homme et la biodiversité locale.

  2. L’IA appliquée à l’imagerie satellite : L’analyse des images satellitaires via des modèles d’IA permet de repérer des zones colonisées par des EEE, notamment des espèces végétales invasives.

    • Exemple : L’utilisation d’images Sentinel-2 a permis de cartographier la propagation de l’Elodée du Canada dans des zones humides protégées.

  3. Les drones équipés d’IA : Utilisés pour la surveillance des milieux naturels, les drones peuvent capturer des images haute résolution et analyser en temps réel la présence d’espèces exotiques envahissantes.

    • Exemple : Des drones équipés de caméras thermiques et d’IA ont été employés pour détecter la présence du Frelon asiatique en forêt, permettant une intervention plus rapide.

  4. L’IA et la bioacoustique : L’analyse des sons et des cris d’animaux permet de détecter la présence d’EEE dans un environnement donné.

    • Exemple : Une IA spécialisée en bioacoustique a été utilisée pour détecter les chants de la Grenouille taureau, une espèce invasive en Europe, facilitant ainsi des mesures de contrôle ciblées.

IA et reconnaissance des EEE : avantages et limites

Avantages

  • Automatisation et rapidité : L’IA permet d’analyser de grandes quantités de données en un temps record.

  • Surveillance en continu : Grâce aux satellites et drones, le suivi des espèces envahissantes devient plus réactif.

  • Engagement citoyen : Les applications mobiles favorisent une science participative, enrichissant les bases de données d’apprentissage.

Limites et défis

  • Biais des données : Certaines espèces sont sous-représentées dans les bases d’apprentissage, entraînant des erreurs de classification.

  • Dépendance aux conditions environnementales : La reconnaissance via drone ou satellite peut être altérée par la météo ou la qualité des images.

  • Validation humaine nécessaire : Une IA performante nécessite des mises à jour et une validation régulière par des experts.

Perspectives et innovations

Pour améliorer la reconnaissance des EEE par l’IA, plusieurs pistes d’innovation sont en cours d’exploration :

  • IA hybride : Combiner l’apprentissage automatique avec des bases de règles définies par des experts.

  • Intégration de données ADN environnemental : Croiser les résultats de reconnaissance d’images avec l’analyse ADN des milieux naturels.

  • Apprentissage fédéré : Une IA qui s’entraîne localement sur des appareils sans centraliser les données, réduisant ainsi les biais et préservant la confidentialité.

Conclusion

L’intelligence artificielle représente un atout majeur pour la détection et la gestion des espèces exotiques envahissantes. Bien qu’elle ne puisse pas remplacer totalement l’expertise humaine, elle constitue un outil complémentaire précieux pour automatiser et accélérer les processus d’identification. Pour maximiser son efficacité, une approche collaborative impliquant chercheurs, gestionnaires d’espaces naturels et citoyens est essentielle. En combinant IA, science participative et nouvelles technologies, il est possible de mieux anticiper et limiter l’impact des EEE sur la biodiversité.

ROVELLOTTI Olivier