La conservation volontaire au Québec - rencontre avec Brice Caillé, Directeur du Réseau de Milieux Naturels Protégés

Présent au Canada en VIE depuis presque un an, Adrien Pajot, responsable du développement de Natural Solutions, a pu découvrir les acteurs locaux et le sujet de la conservation volontaire, une thématique aussi passionnante que primordiale pour inverser la tendance d’érosion de la biodiversité. Dans cet article, nous décrivons son interview de Brice Caillié, responsable du Réseau de Milieux Naturels protégés.  

Brice Caillé-Directeur Général du RMN

Brice Caillié est géographe et géomaticien. Il détient une licence de géographie obtenue à la Sorbonne et un master en environnement à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Suite à une première expérience dans la prévision des crues dans le sud de la France, il a choisi de se spécialiser en géomatique grâce à une maîtrise en Sciences Géographiques réalisée à l’université de Sherbrooke en partenariat avec Corridor Appalachien. Suite à sa maîtrise, il a œuvré chez Géomont avant de devenir consultant en géographie sociale et environnementale afin d’accompagner les OBNL dans leurs missions. Il a rejoint le Réseau de Milieux Naturels Protégés en juillet 2019.

Brice, peux-tu te présenter et présenter le RMN ?  

« Je suis Brice Caillié, directeur Général du RMN. Le RMN est une OBNL (association/ONG) qui représente, fédère, soutient et forme les individus et les organismes qui agissent pour la conservation volontaire. »  

Qu’est-ce que la conservation volontaire ?  

“C’est la prise en charge du patrimoine naturel sur une terre privée. Ce principe est fondé sur l’initiative et l’engagement individuels. Cependant, de plus en plus d’organismes, constitués souvent par des bénévoles, se forment pour acquérir et gérer ces terres. Le principe est qu’un individu ou un organisme acquiert (achat, don, servitude, etc.) un terrain et le mette en conservation à perpétuité, le protégeant ainsi d’activités de développement immobilier ou d’extractions de ressources naturelles. 

L’équivalent anglais est le “Private stewardship”.  

Peux-tu préciser ce qu’est une terre privée ?  

Une terre privée est une terre qui n’appartient pas à l’état. Ainsi, les terrains d’une municipalité par exemple, sont privés.  

En quoi l’acquisition de terres privées et la mise en conservation à perpétuité représentent un intérêt pour la conservation de la biodiversité ? 

« Tu as dû entendre parler du Global Biodiversity Framework (GBF) issu de la COP15. L’objectif du GBF est de stopper la perte de biodiversité. Pour atteindre cet objectif, la conservation volontaire est un outil clé et indispensable. En effet, bien que les terres privées représentent seulement 8% du territoire québécois, elles abritent près de 50% des espèces menacées et vulnérables de la province ! La conservation volontaire permet de protéger plus de 75 000 ha qui deviendront des aires protégées ou des AMCEZ, des Autres Mesures de Conservation Efficaces par Zone. » 

Est-ce que cette pratique est encouragée ou reconnue dans la loi ?  

“Légalement, seule la notion de réserve naturelle est présente au Québec. Le principe de la conservation volontaire repose lui surun … le code civil de Napoléon ! Toutefois, même si elles ne sont pas inscrites dans la loi, les propriétés d’organismes de conservations sont reconnues comme des aires protégées.” 

Cela veut dire que ce mouvement pourrait s'initier en France ?  

Oui complètement ! D’autant qu’en France, beaucoup de terres sont privées, ce qui a encore plus d’intérêt. Ici seulement 8% du territoire est privé. Mais c’est sur ce territoire qu’on retrouve la plus grande biodiversité et le plus grand nombre de menaces qui pèsent sur elle”  

Depuis quand ce type d’initiative existe ?  

“Le premier site de conservation volontaire au Québec date de 1927, mais le mouvement a réellement démarré dans les années 80 avant de connaitre un véritable essor ces dernières années”. 

On suppose facilement que la conservation volontaire ne consiste pas seulement à l’acquisition de terrains ?  

« En amont de l’acquisition, des études sont réalisées pour évaluer l’intérêt écologique de la zone ou l’historique du terrain (pollution, extraction, etc.) et mettre en place un plan de conservation. Ensuite, une fois le terrain acquis, ce qui n’est pas toujours évident, la personne ou l’organisme propriétaire doit le suivre et veiller au respect de normes et pratiques définies mais aussi s’acquitter des taxes associées. Il est important de noter que le terrain n’est pas laissé à l’abandon, d’autant plus qu’il existe ici la prescription acquisitive ce qui signifie que si un voisin malveillant exploite votre terrain pendant 10 ans sans que vous en rendiez compte, il pourrait l’acquérir»  

Existe-t-il un outil qui recense toutes zones conservées à perpétuité ?  

« Au niveau québécois, le RMN tient le répertoire des sites de conservation volontaire du Québec. (Clin d’œil : D’ailleurs une des missions d’Aurélie Jambon, ancienne de Natural Solutions, est de gérer ce répertoire). Les sites de conservation sont ensuite partagés au registre des aires protégées du Québec, au niveau provincial. Au niveau fédéral, c’est le CPCAD (Canadian Protected and Conserved Area Database) qui regroupe toutes les informations. »  

L’acquisition de terrain s’effectue-t-elle de manière ordonnée ?  

« Oui, un organisme ou une personne n’achète généralement pas un terrain au hasard. En effet, les missions d’un organisme définissent souvent un territoire d’actions (comme l’organisme Corridors Appalachiens) et un type d’habitat à protéger (forestier, zones humides, etc.) même s’ils peuvent être plus généralistes. De plus, dans le cadre de l’Initiative Québécoise pour les corridors écologiques, de plus en plus d’organismes fédèrent les acteurs pour recréer des continuités écologiques. C’est le cas d’Eco-corridors Laurentiens ou de Horizon Nature Bas-Saint-Laurent par exemple. » 

Le Répertoire des sites de conservation volontaire a récemment répertorié 1500 sites protégés, englobant ainsi une superficie d'environ 75 000 hectares de milieux naturels préservés au Québec. Ces chiffres sont véritablement enthousiasmants et nous offrent un aperçu inspirant de ce qui pourrait être accompli en France en matière de conservation volontaire. Ils nous incitent à envisager avec ferveur la mise en place d'initiatives similaires sur notre propre territoire.